II- Les références à
l'Histoire de l'Humanité
A- La religion
"Le Seigneur
des Anneaux n'est pas un roman
apologétique. La foi chrétienne n'y joue pas le rôle
d'un "prétexte", elle constitue la substance même du propos
de Tolkien."
G.Solari,
janvier 2002, La Nef
L'avis de
Tolkien:
John Reuel Ronald Tolkien, fervent catholique, a avant tout crée
l'histoire des Terres -du-Milieu afin de donner une mythologie à
son pays l'Angleterre.
On
peut dors et déjà penser que Le Seigneur des Anneaux est
une oeuvre catholique puisque son auteur lui-même le
prétend: " Le Seigneur
des Anneaux est bien sûr
une oeuvre fondamentalement religieuse et catholique; inconsciemment au
départ, mais consciemment dans la révision. C'est pourquoi
je n'ai pas inclus, ou ai supprimé, pratiquement toute
référence à quoi que ce soit approchant la
"religion", les cultes ou les pratiques, dans le monde imaginaire. Car
l'élément religieux est absorbé dans l'histoire et
le symbolisme." lettre 181 adressée au père Murray
en 1953. Ainsi d'après Tolkien le monde féerique ne peut
se permettre de plagier la religion. Il dit encore dans cette lettre
181: "L'incarnation de Dieu est une
chose infiniment
supérieure
à tout ce que j'oserais écrire".

Xavier De Brabois:
Xavier De Brabois
réalise l'essai intitulé " Le Seigneur des Anneaux,
mythe païen ou mythe catholique ?" en mai 2004, il tente de
montrer que l'oeuvre de Tolkien "se présente sous un jour
résolument catholique", même si elle emprunte à
l'univers païen ses matériaux. Il remarque alors de
nombreuses correspondances entre
les références bibliques et Le Seigneur des Anneaux.
Nous
pouvons d'ores et déjà discerner l'aspect fondamentalement
catholique de ce récit grâce au champ lexical
spécifique à la religion, comme par exemple l'expression
"ombre(s) de la mort" qui est aussi fréquemment utilisée
dans le livre de Job.
Le
thème de l'Espérance est très largement
utilisé , il s'agit d'une véritable foi. De plus une autre
volonté est bien à l'oeuvre dans tout le récit, il
n'y a ni hasard, ni chance, mais cela sans jamais contraindre la
liberté des personnages. Par exemple à Fondcombe, Frodon
décide de prendre l'Anneau "comme
si quelque autre volonté se servit de sa petite voix". Sam
et Frodon, dans leur chemin vers la montagne du Destin, ne sauraient
définir ce qui les poussent à continuer, malgré
leur extrême faiblesse et leur perte de tout espoir.
La
religion est présente dans les moindres détails, comme le
Lembas des elfes, une sorte de pain de route, qui permet aux voyageurs,
s'il n'est mêlé à d'autres aliments, de leur
redonner des forces physiques mais aussi, et avant tout, spirituelles,
il peut donc être comparé à l'Hostie, ce que Tolkien
démentira.
Les
dates utilisées par l'auteur pour les grands
évènements sont assez significatives, la Compagnie de
l'Anneau quitte Fondcombe le 25 décembre, jour de Noël dans
le calendrier catholique. C'est le 25 mars que l'Anneau est
détruit, date qui est traditionnellement dans l' Eglise le jour
de l'Annonciation, fête de la conception du Christ, ce fut
également le premier jour de l'année en Angleterre durant
des siècles.
Comme
de nombreux lecteurs de Tolkien, Xavier de Brabois discerne dans les
personnages du Seigneur des
Anneaux des similitudes avec les figures bibliques, Tolkien,
d'ailleurs, comparait lui-même la figure de Galadriel à
celle de la Vierge Marie, alliant toutes deux beauté,
majesté et simplicité.
On
peut dicerner chez Frodon les Caractéristiques du Sauveur
Jésus. Le fardeau de l'Anneau serait vu comme celui du Christ,
libérer le monde du péché et de la mort, il se
charge du péché du monde. L'Anneau incarne l'essence
même du péché: il est le Tentation, la
volonté de puissance, il conduit au néant. Comme
Jésus, Frodon est frappé par la trahison d'un de ses amis
membres de la Communauté, il s'agit de Boromir, Frodon quitte
ensuite la Communauté pour un périple presque solitaire.
Xavier
De Bravois ne manque pas de préciser que dans Le Seigneur des Anneaux il
est tout à fait logique de faire disparaître toutes
références religieuses explicites, puisque le récit
se déroule dans un temps imaginaire situé bien avant la
Révélation du Christ . Et surtout, la vraie vue de
Tolkien est que le monde féerique ne peut se permettre de
plagier la religion , on trouve donc dans ses oeuvres aucune
références bibliques explicites, bien qu'on les y
pressente.
Isabelle Smadja:
Xavier De Brabois
n'est en fait pas le seul à avoir vu ces figures bibliques dans
l'oeuvre de Tolkien, Isabelle Smadja, auteur du Seigneur des Anneaux ou la
tentation du mal, voit en Sauron et Gandalf les incarnations de
Satan et Dieu.
En
effet, les correspondances entre Sauron et Satan sont faciles à
relever, c'est un être omniprésent mais jamais visible,
dont le symbole de la Tentation est représenté par
l'Anneau. Il est lui-même le créateur de l'Anneau unique,
il est avide de destruction et ne songe qu'à régner
sur "un royaume d'ombres et de morts"
, il serait donc l'antithèse de Dieu, le symbole de tout Mal,
principale menace sur les "peuples
libres", et comme ce-dernier il "ne permet pas que son nom soit
écrit ou prononcé", le terme d' "Ennemi" atteste ses ressemblances
avec le Diable. Ce
récit reprend donc la matrice originelle d'un pacte avec le
Diable, il se construit autour de l'idée d'un mystérieux
bien unissant le Diable, par le biais d'un objet maléfique et
puissant, à ceux qui auraient eu la faiblesse de se laisser
tenter par l'attrait magique de cet objet.
Pour
Isabelle Smadja, ce roman est la version laïque du récit
biblique et de la Tentation à laquelle Dieu soumet Adam et Eve ( " La femme répondit au serpent:
(...) du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: vous
n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort ". La Bible ). On remarque ici
la richesse de la métaphore de l'Anneau.
Selon
elle, la création majeure de Tolkien est celle du personnage de
Gandalf, il représente la fusion entre la force et la
fragilité,: il parvient à réunir une grande force
de caractère et une certaine faiblesse, sa vieillesse, son
attachement pour Frodon ... Il correspond à un idéal
beaucoup plus moderne que le Dieu tout-puissant, son aspect physique le
présente comme un sage, "sa
longue et abondante barbe argentée et ses larges épaules"
donnent "l'air de quelque sage roi de
l'ancienne légende". Sa capacité à resurgir
alors qu'on le croyait perdu à jamais donne une espérance
supplémentaire aux personnages, mais aussi aux lecteurs. Ce
magicien, qui allie majesté et puissance, occupe un rôle
indispensable dans la Communauté puisquedès qu'il
disparaît de celle-ci elle se dissout, suiite à
l'épisode du Balrog dans la Moria, où sa chute est
marqué par de nombreuses références bibliques et
spirituelles. Il revient sous le nom de Gandalf le Blanc, qui est "hors de la pensée et du temps", nous pouvons voir cette
chute comme une mort, et son retour comme une ressurection.
Irène
fernandez:
Irène
Fernandez, auteur de Et si on
parlait du Seigneur des Anneaux, affirme qu'il faut être
très prudent lorsqu'il s'agit de discerner des figures
christiques dans l'oeuvre de Tolkien, nous risquons de tomber rapidement
dans l'arbitraire et dans l'interprétation allégorique.
Tolkien lui-même était déjà
exaspéré par l'allégorisation du Seigneur des Anneaux. Elle
s'est pourtant attardée sur le personnage de Tom Bombadil,
totalement hors norme, inclassable, on le connait peu et il ne fait pas
progresser l'intrigue. Cest pourtant un être fort sympathique, il
est caractérisé par le fait que l'Anneau n'a aucune
emprise sur lui, nous pouvons donc nous demander si il représente
un Dieu intouchable, qui ne peut succomber à la Tentation.
Si l'on confie la lourde peine de détruire l'Anneau à
Frodon, et non à Tom Bombadil, ce qui serait bien plus simple,
c'est justement à cause de cette immunité, il ne peut
mesurer l'importance de cet acte. Aussi, la victoire de Sauron
entrainerait également son ultime défaite.
B-Guerre
et combat
Le thème de la
guerre,de la discorde, constitue l'un des élément
caractéristique de l'oeuvre de Tolkien : Le Seigneur des Anneaux.
En effet, de nombreuses dissenssions sont
au coeur de l'oeuvre, qui retrace l'opposition et la guerre qui s'en
suit entre Sauron, incarnation du Mal, et les peuples libres, unis pour
lutter contre un ennemi commun.
Pour comprendre cette importance
accordée à la guerre, il est nécessaire de rappeler
que Tolkien prit part à la Première Guerre mondiale, ce
qui le marqua profondément.
Dans son oeuvre, Tolkien traite non
seulement de l'impact de la guerre dans l'Histoire de la Terre du Milieu
mais aussi de la manière dont elle affecte tous les individus,
laissant des traces irrémédiables en leur fort
intérieur. De ce point de vue, on peut donc souligner que les
Hommes de la Terre du Milieu pourraient de ce fait s'apparenter aux
combattants de la Première et Seconde Guerre mondiale qui durent
s'engager dans de périlleux combats au risque de perdre leur vie.
La guerre, qu'il s'agisse de celle qui se
déroule en Terre du Milieu, opposant l'armée du Gondor
à celle du Mordor; ou bien de la Première et Seconde
Guerre mondiale, est toujours symbole de destruction tant au niveau
matériel qu'au niveau mental de l'individu.
Si la guerre occupe une place centrale
dans Le Seigneur des Anneaux,
on peut observer que Tolkien applique une mise en place progressive du
conflit au cours du récit.
On peut tout d'abord remarquer que les
livres 1 et 2 présentent des siges précurseurs du conflit
à venir. On peut notamment penser au chapitre 11 du livre 1
intitulé "un poignard dans le noir" au cours duquel Frodon est
blessé à l'épaule par un Nazgul, blessure qui ne
guérira pas par la suite. Le chapitre 5 du livre 2
intitulé "le pont de Khazad-dûm" nous relate la chute de
Gandalf dans la Moria provoquée par le Balrog, créature
maléfique dirigée par Sauron.
Ces deux premiers livres nous relatent
donc la montée progressive de la guerre dans le récit. Ce
n'est qu'en effet qu'à partir du livre 3 que la guerre prend
toute son ampleur, avec la bataille du Gouffre de Helm. Tolkien, au
cours de ce livre, met l'accent sur la taille impressionante des troupes
de Saroumane qui, sur le champ de bataille du Gouffre de Helm, sont
semblables à un champ de blé : "et les Hommes de la Marche, confondus,
croyaient voir un grand champ de blé noir, secoué par une
tempête guerrière et dont chaque épi luisait d'une
lumière barbelée".
La mort qui est généralement
l'issue du combat est, comme le souligne Vincent Ferré, "rendue très concrète par le
réalisme des descriptions, les détails des armes et des
blessures : après l'affrontement des champs du Pelennor, on
dénombre les soldats blessés, estropiés ou
tués sur le champ de bataille".
Tolkien fait preuve d'une grande
précision quant à la description des batailles ayant lieu
au cours du récit. On peut notamment relever de nombreuses
similitudes entre le monde merveilleux crée dans Le Seigneur des Anneaux et
le monde réel.
Au niveau de la stratégie
guerrière tout d'abord, on peut remarquer que les armées
élaborent des systèmes d'alliances afin de mieux contrer
l'ennemi. On peut aussi souligner le fait que la population civile est
très impliquée dans la guerre. La
dégénérescence morale de certains personnages, tels
Dénéthor et Saroumane, assoifés de force et de
pouvoir, peut également s'apparenter à cette
volonté de prestige dont faisait preuve les représentants
totalitaires tels Hitler et Staline. Enfin, la destruction causée
par la guerre ainsi que les pertes humaines qu'elle entraîne
peuvent faire penser aux millions de morts des Guerres mondiales.
La fin du combat, et donc de la
guerre de l'Anneau est marquée par la desctruction de l'Anneau
par Frodon, qui n'aurait pas été possible sans Gollum.
Tolkien, par ce biais, reconnaît et met en évidence la
faillibilité humaine.
Ainsi, comme l'explique David Ledanois
dans son essai sur la guerre dans Le Seigneur des Anneaux, "l'exemple de Frodon est donc porteur
d'espoir puisqu'il démontre qu'en dépis de l'imperfection
humaine il reste néanmoins possible de résister au Mal".
Pour toutes ces raisons, on peut donc
affirmer que Le Seigneur des
Anneaux s'approche d'un certain réalisme. Cependant, il
est essentiel d'insister sur le fait que Tolkien ne valorise pas la
guerre mais présente le Mal comme un élément
inhérent de l'Histoire humaine, pouvant cependant être
combattu.